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Procès du Distilbène®


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26 novembre 2004, dans la salle A de l'annexe du tribunal de Nanterre, s'ouvre le 3ème procès du Distilbène,
celui opposant Catherine Petit à  UCB Pharma.

Il y a peu de monde dans la salle. Dans la travée de gauche, Maître Verdier, les parents et la soeur de Catherine, Valérie, sa compagne, et une amie. Dans la travée de droite, les 2 avocates d'UCB. Le jury est composé de 3 femmes.
Maître Verdier commence par remercier la juridiction d'avoir accepté d'avancer la date de l'audience, vu l'état de santé de sa cliente, puis elle débute sa plaidoirie en rappelant que derrière le dossier, il y a une jeune femme de 33 ans, touchée par un cancer.

Elle a déjà  plaidé les 4 premiers dossiers et ça se sent. Comme précédemment, elle commence par rappeler qu'en France, le D.E.S a été commercialisé par 2 laboratoires (Borne et UCB) et qu'il y a dans le dossier les preuves de l'exposition de Catherine au Distilbène.
Puis elle brosse un rapide historique du D.E.S :
  • 1938 : son invention par Dodds en 1938, qui laisse la molécule dans le domaine public
  • 1953 : l'étude de Dieckmann qui prouve l'inefficacité du D.E.S
  • 1959 : le décret qui interdit le D.E.S dans la nourriture aux animaux à  cause de son effet cancérigène !!!
  • 1971 : l'étude de Herbst qui établit un lien entre exposition in-utéro au D.E.S et des cancers ACCC survenus chez des femmes jeunes (jusqu'alors, ce type de cancer se rencontrait principalement chez des femmes ménopausées)

Dès cette date, le D.E.S est interdit aux USA. En France, il faudra attendre 1977 pour que le D.E.S soit contre-indiqué aux femmes enceintes.
Elle note également que s'il y a des procédures judiciaires aux USA, aux Pays-Bas et en France, dans les 2 premiers pays, les laboratoires transigent avec les victimes alors qu'en France, celles-ci sont encore obligées de se battre pour faire aboutir leurs procédures.

Ensuite, la plaidoirie est devenu plus technique, puisque Maître Verdier a attaqué la partie juridique du dossier.
D'abord concernant l'expertise. En effet, quand le tribunal de Nanterre a été saisi de l'affaire en 1994, il a demandé une expertise judiciaire qui lui a été remise en 1999. Les procès se basent donc sur ce rapport de 1999. Ensuite, un nouveau collège de 3 experts a été nommé pour évaluer le préjudice subi et compléter le 1er rapport sur le cas précis de Catherine.
Or, selon UCB, ce rapport serait entaché de nullité car un des experts (le docteur Marc Girard) serait partial au motif qu'il mène une croisade contre l'industrie pharmaceutique (si, si...). Maître Verdier a bien sûr démonté l'argumentation d'UCB, faisant remarquer que le docteur Girard est un expert reconnu et qu'il a travaillé pour plusieurs laboratoires pharmaceutiques, y compris pour UCB !
Elle conclut en disant que ce rapport reprend ce qui est écrit dans le rapport de 1999 mais en termes moins choisis, il est vrai...
Maître Verdier a ensuite parlé du fondement juridique qui s'articule autour de 2 axes : la faute et la défectuosité.
Dans les 4 premiers dossiers jugés par la cour de Nanterre, la défectuosité a été retenue. En appel, le tribunal de Versailles a ajouté la faute du laboratoire. Elle fait remarquer que, bien évidemment, les victimes préfèrent qu'UCB soit condamné pour faute.
Bien sûr, UCB rejette la faute, arguant qu'il n'y avait pas à  l'époque de données scientifiques suffisantes. Cependant, Maître Verdier note :
  1. l'absence d'étude préalable à  la commercialisation du produit
  2. le manque d'intérêt pour les études toxicologiques
  3. le manque d'intérêt pour l'étude de Dieckman de 1953
  4. l'absence d'étude sur les risques
  5. l'absence d'informations aux patients et aux médecins
  6. l'absence de contre-indications
  7. le rapport Herst de 1971 qui a été totalement ignoré par UCB
Il y a donc eu un bénéfice économique éthiquement contestable.

Pour les amateurs de droit, il faut se référer à  l'article L221-1 du code de la consommation qui dit :
"Les produits et les services doivent, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à  laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à  la santé des personnes."
et à  un article du code civil (16 ???)

Elle poursuit en indiquant que le lien de causalité entre l'exposition au Distilbène et l'ACCC a été clairement établi par le rapport de 1999 et par le rapport relatif à  la procédure de Catherine ; que l'AFSSAPS elle-même reconnaît ce lien dans l'information envoyée aux médecins ; et qu'on est ici en présence d'un dommage de masse.

Elle conclut sa plaidoirie en évoquant Catherine, le cancer qui la frappe à  28 ans, les interventions chirurgicales (ablation de l'utérus et des ovaires), les chimiothérapies, le cancer qui récidive en 2003 et touche la vessie et le péritoine, nouvelle opération, nouvelle chimio...
Elle rappelle ainsi que derrière le volumineux dossier posé sur son pupitre, il y a une jeune femme de 33 ans qui se sait condamnée à  brèves échéances. Inutile de vous dire que l'émotion était palpable.

Maître Verdier finit alors en demandant à  la cour de reconnaître un préjudice spécifique pour l'exposition au Distilbène et d'attribuer à  Catherine une indemnité de 600 000 ¤.
Pour ce procès, UCB est représenté par de nouveaux avocats, en l'occurrence 2 femmes (comme par hasard). La première entame sa plaidoirie sur l'aspect juridique.
Elle revient en détail sur la partialité du docteur Girard qui rendrait nul le rapport du second collège d'experts. Elle évoque en particulier le fait que, d'après le docteur Girard, l'industrie pharmaceutique serait une industrie de fraude et qu'il y aurait une volonté délibérée de fraude pour des raisons commerciales.
Soit dit en passant, quand on voit que les laboratoires ne retiennent généralement que les études favorables à  leurs nouveaux médicaments en écartant quasi systématiquement les études défavorables, on peut se poser la question.

Quand au cadre juridique, elle reprend l'argumentation utilisée dans les procès précédents, à  savoir que le principe de non-rétroactivité des lois fait qu'on ne peut appliquer les textes évoqués par Maître Verdier qui sont postérieurs à  l'exposition au Distilbène de Catherine.
Elle affirme également que la faute ne peut être retenue vu l'état des connaissances en 1970. Le corps médical, à  cette époque, approuvait l'utilisation du D.E.S. Elle s'appuie ainsi sur l'étude de Smith (1948) qui prouvait la prétendue efficacité du D.E.S. Elle explique également que l'étude de Dieckman de 1953, démontrant l'inefficacité du D.E.S, portait sur les fauches couches tardives alors que les indications d'UCB portaient sur les fausses couches précoces. Et que cette même étude ne montrait pas la nocivité du D.E.S.

Il faut bien reconnaître qu'elle maîtrise très bien son dossier et a fait une plaidoirie très énergique. Un peu trop même, car elle a essuyé une remarque ironique de la Présidente quand elle a expliqué que la faute ne pouvait être retenue et que les juges de Versailles avait produit une aberration juridique.

Elle passe ensuite la parole à  sa consoeur qui remet en cause le lien de causalité entre l'exposition au Distilbène et l'ACCC. Cette seconde avocate explique ainsi qu'un tiers des ACCC sont rencontrés sans exposition au D.E.S (c'est vrai sauf qu'on le rencontre normalement chez des femmes ménopausées) et qu'il y a eu des cas d'ACCC chez des jeunes filles avant l'invention du D.E.S en 1938 (ben oui, la médecine n'est pas une science exacte) et qu'enfin des études aux Pays-Bas prouvent que tous les ACCC ne sont pas dus au D.E.S.
Revenant sur l'étude de Herbst, elle explique qu'elle n'a pas prouvé le lien de causalité mais seulement un lien statistique (ça méritait quand même de se poser des questions, non ?)
D'autre part, que l'ACCC n'est pas forcément lié à  l'exposition au D.E.S mais peut être dû aux antécédents médicaux qui ont amené la prescription du D.E.S.
Bref, à  l'écouter, UCB est presque un bienfaiteur de l'humanité et on se demande pourquoi on ne continue pas à  prescrire du Distilbène® aux femmes enceintes.

Comme elle ne fait que reprendre l'argumentaire déjà  utilisé lors des précédents procès, la Présidente l'a carrément interrompue en lui disant qu'elle en avait assez entendu ! Et elle a annoncé la date de rendu du délibéré : le 17 décembre.

Je ne sais pas si j'ai eu un moment d'inattention, mais je n'ai pas entendu de la part des avocates d'UCB un seul mot de compassion pour Catherine.

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Mise en ligne le 8 mars 2003 Dernière mise à  jour le 12/10/2006